Les flux de consciences

Date de publication : 03-06-2022

Auteur : Xavier Lanne

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Nous savons que les réseaux sociaux cherchent à capter au maximum notre attention. Analysons le cas des messageries instantanées qui nous poussent tous les jours à réagir aux notifications qu'elles provoquent. Comment peut-on en arriver à mesurer, sur la base de la vitesse de réaction, le lien qui nous unit à nos amis ? Aux dépens même de l'affection qu'ils montrent en réel... La forme de ces conversations instantanées donne naissance à ce qu’on appelle le flux de conscience.

Qu'est-ce qu'un flux de conscience ? C'est une conversation qui a la forme d'un rouleau sans fin que l’on déroule au fur et à mesure que l’on pense sans trop savoir où l’on va. Il n’y a plus de barrière au partage, plus d’anticipation. Le message est envoyé avant même que son expéditeur ait pu réfléchir à ce qu’il écrit. « Je passe justement dans ta rue ça te dit de boire un verre » « Oups oublie j’avais oublié que j’avais un rendez-vous » « Ce sera pour une autre fois ce serait chouette de se voir » « Au fait j’espère que tu vas bien ».

Ce qui se cache derrière chacun de ces messages, c'est la triste attente d'une validation externe. Validations qui prennent la forme d'une autre suite de messages, d'une réaction (un simple émoticône ou un gif), ou de moyens spécialement mis en place. Nous pouvons penser aux flammes de snapchat qui vous imposent d'envoyer au moins un message par jour. Ou encore la pastille qui indique que le message a été lu. D’ailleurs, certains vont jusqu'à consulter les messages depuis la zone de notification, pour éviter de les marquer "comme lu", sinon ils se sentiraient obligés de répondre.

La différence entre ces conversations numériques et les conversations réelles est qu'il n'est pas possible de les clôturer. Dans toutes les cultures, la fin d’une conversation, orale ou écrite, est marquée par un protocole social de clôture : « Salutations distinguées ! », « Je dois vraiment y aller, a+ », « Ce fut un plaisir ». L’utilité de ces formules est fondamentale pour permettre à chaque participant de passer à autre chose, de changer de contexte. Malheureusement, ces clôtures sont généralement inexistantes dans les groupes de discussion. Les discussions instantanées deviennent omniprésentes. Les notifications vous sautent aux yeux alors que vous saisissez votre téléphone pour regarder autre chose.

À force, nous perdons la conscience et la mémoire. Nous les délocalisons toutes les deux vers les serveurs des GAFAM qui ont pour but de capter notre attention !

Ces formes de conversations ne forgent pas l'intelligence ni la volonté. Or l'homme sans intelligence ni volonté retourne à l'état d'animal. Si le choix n’était qu’individuel, cela ne prêterait pas tellement à conséquence. Mais le choix est global, sociétal.

Les solutions pour ne pas être piégé dans ces messageries, hormis de ne pas en avoir, consiste à apprendre à les utiliser avec précaution (prudence) et maturité. Il peut être intéressant dans ce contexte de reconsidérer la place des mails et des lettres, qui ont cet avantage de respecter la conscience de chacun. Car, si nous perdons notre conscience, notre mémoire et que nous brisons les espaces de réflexion, d’où viendront les prochaines grandes idées, celles qui nous porteront tous ? Comment resterons-nous libres face aux défis de demain ?

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