Abrutissement des comportements

Date de publication : 10-06-2022

Auteur : Xavier Lanne

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Les messageries instantanées nous poussent à nous livrer de manière continue au travers des flux de conscience. Le problème qui en résulte est que ces conversations écrites ne sont plus structurées. Les conversations sont sans queue ni tête, et nous y déversons ce flux de conscience que nous avons. Quel est le problème à cela ?

L'un des points fondamentaux est qu'il n'y a plus de début ni de fin dans ces conversations. De ce fait, nous perdons cette capacité à distinguer ce qui est important de ce qui ne l'est pas. Dans une conversation normale, le dernier moment pour échanger de l’information critique est au seuil de la porte, après c'est trop tard. Dans le cadre des messageries instantanées, tout devient important, tout devient urgent, et tout finit par être fait sous le coup de l'impulsion.

C'est dans cette logique que nos conversations se font par séries de messages. En effet, ce qui est urgent n'est plus seulement l'information à transmettre que ce besoin d'évacuer une émotion sur le moment. On se met donc à écrire frénétiquement sur le clavier qui s'affiche, puis avant même d'avoir vérifié qu'on répondait à la question, le message est envoyé, puis reçu, puis lu...

Finalement c'est notre manière d'écrire qui est affectée. Rapidement nous n'utilisons plus les mots pour ce qu'ils sont, pour le sens qui leur sont propres et justes, mais pour l’émotion qu’ils transmettent au moment de la rédaction. Nous avons perdu le goût du mot juste au profit d'un mélange gluant entre l'émotion et les lettres. Tout ça pour appuyer sur le bouton envoyer avant même de nous être relus, laissant au passage une faute tous les trois mots dans le meilleur des cas. Ce ne sont plus uniquement des idées que nous déversons dans ces messageries, ce sont des flux d'émotions. Et comme cela devenait compliqué d'envoyer des émotions à travers des mots, nous avons inventé les "émoticônes" (émotion-icône). De cette manière, il n'y a même plus à chercher les mots pour exprimer l'émotion, juste l'icône qui correspond au ressenti. Et plutôt que de l'envoyer sous forme d'un message, nous l'envoyons sous forme de "réactions".

Il en ressort que nous allons complètement à l'encontre de la vertu de tempérance, censée nous amener à une régulation volontaire de nos pulsions de vie. Nous allons également à l'encontre de la vertu de prudence qui devrait nous pousser à choisir les mots justes et à discerner les idées qu'il est réellement nécessaire ou pas de transmettre.

Plus qu'une simple conversation numérique, ces flux de consciences se transforment en un tas d'émotion sous couvert de "pensées" qui n'ont, à bien y regarder, plus grand-chose de consistant. À force, nous perdons notre capacité à respecter notre intimité. Nous nous dévoilons trop facilement dans ce déversement sans fin. Il est tellement plus facile de dévoiler ces sentiments à travers des réactions aux messages plutôt que d'une belle lettre bien construite, mûrit, réfléchit !

D'un côté nous perdons notre intimité et notre volonté, de l'autre notre intelligence. Nous perdons le goût de la réflexion, de la recherche du beau, du bien et du juste. Nous préférons la réaction bête et facile, les clics sur les boutons. Il est trop compliqué de coucher un raisonnement sur papier. Au-delà des messageries instantanées, que dire de ces réseaux sociaux qui nous servent le contenu qu'ils veulent que nous voyions sur un plateau, plutôt que de nous laisser chercher nous-même ce dont on a réellement besoin.

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