Récemment, une pétition a été publiée pour dénoncer l'existence de la Viginum. La "VIGINUM est le service technique et opérationnel de l'État chargé de la vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères."¹
Le journaliste dénonce notamment des projets de lois qui visent à « mettre au pas les réseaux sociaux contre les soi-disantes "fake news" ». Selon lui, le pire est la fermeture d’une vingtaine de comptes Telegram russes.
Doit-on mettre sur le même plan la censure d’un média tel que CNews et la censure des réseaux sociaux ? Autrement dit, doit-on donner autant la parole à des instances journalistiques qu’à des utilisateurs de réseaux sociaux ? Enfin, est-il légitime de se protéger contre les ingérences étrangères ?
La problématique soulevée est complexe. Il est important de se poser, de prendre du recul et d’élever le débat pour bien définir ce que nous voulons défendre, les principes auxquels nous voulons rester attaché, sans se prendre dans les filets des menaces réelles qui pèsent sur le pouvoir médiatique contemporain.
Il y a en effet, aujourd'hui, une véritable guerre de l'information qui se mène au niveau mondial, impliquant toutes les grandes puissances ayant des capacités numériques importantes. "La guerre de l’information au sein du cyberespace fait dorénavant partie intégrante de toute stratégie militaire. La lutte informatique d’influence (L2I) désigne les opérations militaires conduites dans la couche informationnelle du cyberespace pour détecter, caractériser et contrer les attaques, appuyer la StratCom, renseigner ou faire de la déception, de façon autonome ou en combinaison avec d’autres opérations."²
La guerre d'influence est donc une guerre militaire qui s'opère sur Internet. Le concept est simple : se battre pour proposer de l'information à certaines populations pour être à la fois plus visible et plus impactant. En d’autres termes, maximiser l’impact de l’information véhiculée afin que l’adhésion du lecteur à l’idée présentée soit maximisée.
Pour être efficace, les services militaires (ou apparentés) peuvent compter sur les algorithmes de recommandation des GAFAM, et autres réseaux sociaux intrusifs. Ces réseaux sociaux espionnent depuis des années leurs utilisateurs, ce qui leur permet de construire des modèles précis des personnalités de chaque utilisateur. De ce fait, le ciblage de l'information peut être extrêmement précis et efficace.
Mais la lutte d'influence ne s'arrête pas là. Elle va aujourd'hui beaucoup plus loin en développant des frappes chirurgicales. Le but est de cibler à un très petit nombre de personnes des informations créées spécifiquement pour ce petit groupe, de telle sorte que son impact soit maximal. Pour cela, les « fabricants de contenu » peuvent s'appuyer sur l'IA, et automatiser les tâches de génération de contenu et d’envoi (et donc ciblage) des messages. Le but : manipuler les personnes pour leur faire changer d'avis, le plus rapidement et efficacement possible.
Y a-t-il un problème lié aux ingérences étrangères ?
Oui. Car ils cherchent à nous manipuler. Il semble très juste de combattre ces mouvements informationnels.
Mais en réalité, le problème est double. Il y a un problème soulevé par les manipulations étrangères, mais aussi le problème soulevé par le fonctionnement même des réseaux sociaux.
Si la manipulation marche aussi bien, c'est bien parce que les populations utilisent ces outils intrusifs comme moyen de s'informer. Or, un outil qui cible les informations et qui est capable de manipuler est-il un bon outil pour s'informer ? Bien sûr que non.
Ainsi, la situation a beaucoup changé entre la propagande des années 1930 et celle d'aujourd'hui. Avant, la propagande n'était pas ciblée, elle n'était pas instantanée, elle ne se propageait pas par les réactions des utilisateurs. Et surtout, la propagande ne ciblait pas des individus et ne manipulait pas. Elle influençait, tout au plus.
La différence entre la manipulation et l'influence est complexe. D'un côté, il semble que l'influence consiste à proclamer un discours dans le but de convaincre la personne. Tandis que la manipulation consiste à proclamer un discours de façon à l'imposer insidieusement à l'auditeur. Ainsi, dans le premier cas, c'est la personne qui choisit d'adhérer à l'idée exposée, d'abord par un travail de l'intelligence, puis de la volonté (adhésion à l'idée). Tandis que dans la manipulation, la personne choisit de suivre un mouvement parce que quelqu'un d'autre a su jouer sur des leviers psychologiques et cognitifs pour lui imposer ce changement. Ainsi, le discours ne cherche pas à s'adresser à l'intelligence, mais à la volonté.
En d'autres termes, l'influence est le résultat d'un discours dont l'intention est d'éclairer l'intelligence, et la manipulation est le résultat d'un discours dont l'intention est de modifier la volonté.
Ainsi, l'influence est quelque chose de naturel. Nous sommes influencés par tout, de l'environnement où nous vivons aux discussions que nous avons avec la famille et les amis. Mais la manipulation est quelque chose de contre nature.
De ce fait, les réseaux sociaux qui reposent sur une forme de manipulation de masse sont mauvais. Nous ne devons pas utiliser ces outils comme moyens de suivre l'actualité.
Si nous voulons trouver un moyen simple de suivre l'actualité, il existe des moyens adaptés à cette fin : les flux RSS. Les agrégateurs de flux RSS (comme FlymDesSync, Feeder, NewsFlash) vous permettent de suivre n'importe quel blog compatible (la quasi-totalité). Il n'y a aucun pistage, ni aucun ciblage. Et l'information qu'on y trouve est bien plus souvent développée, argumentée, constructive. De nombreux experts ont leur propre blog et publient leurs réflexions liées à leur domaine de compétence. Ce que ne fait absolument pas – ni ne permet – eXitter³.
Mais le problème de fond que soulève l’action de la Viginum, ce ne sont pas les réseaux sociaux ni la manipulation étrangère – ce sont d’autres problèmes… Le problème, c'est la vérité !
Dans les circonstances actuelles, nous ne devrions jamais parler des questions de manipulation et de censure sans évoquer la question de la vérité.
Vouloir s'opposer à la Viginum parce qu'elle veut défendre la France contre les manipulations étrangères est une mauvaise posture, car cette action est légitime. Il n'est pas possible de justifier son opposition à la Viginum par la suppression des comptes Telegram de réseaux de manipulation russes⁴. Des études ont été faites au préalable et ont montré que ces réseaux se basaient sur des blogs ou des chaînes qui publiaient des articles générés automatiquement (jusqu'à plusieurs centaines d'articles par jour, parfois avec des erreurs de traduction). De plus, des informations techniques permettaient de localiser les serveurs et d’observer que les différentes sources étaient en réalité gérées par la même entité. Ainsi, la clôture des comptes Telegram semble très légitime.
De plus, dans le contexte actuel, il faut voir le cyberespace, matérialisé par les réseaux sociaux, comme un terrain de guerre où les cibles sont nos cerveaux. De ce fait, nous sommes entrés dans un monde extrêmement complexe où le pouvoir doit légitimement nous défendre, y compris dans le champ psychologique et cognitif.
Il semble donc juste de s'opposer à cette désinformation étrangère. Ainsi, il n'y a pas de raison de s'opposer à une instance gouvernementale qui se chargerait de combattre dans le cyberespace les manipulations.
Le problème soulevé par Guy de la Fortelle – auteur de la pétition – sur la Viginum est par conséquent plus difficile à cerner qu’une simple opposition à son existence. Car une partie de l’action de la Viginum est légitime (notamment la clôture des comptes Telegram russes). Mais le problème, ce sont les dérives – évidentes – qui tendent à interdire les opinions non conformes à la vérité définie par le pouvoir en place.
Il faut en effet une sacrée dose d'humilité et d'honnêteté pour savoir respecter une opposition forte, sans chercher à la manipuler – malgré l’accessibilité des moyens. Or le pouvoir en place ne semble pas avoir ces qualités.
Dans cette situation, il n'y a en réalité qu'une seule victime : la vérité. Que ce soit côté russe ou côté occidental, le problème, c'est que ni l'un ni l'autre ne cherche – ni ne défend – la vérité objective. C'est-à-dire, ce qui est conforme à la réalité.
Nous devons nous battre pour avoir le droit de chercher et de connaître la vérité objective… qui n'est ni chez les Russes, ni chez les occidentaux, ni dans la droite, ni dans la gauche, ni chez les climato-sceptiques, ni les climato-alarmistes, ni dans le complotisme, ni dans la parole officielle. Ce qui est commun à tous ces groupes, c'est la manière dont l'information est proposée : le sujet est clivant, et les arguments, peu développés, cherchent davantage à s'opposer qu’à exposer des raisonnements. Rien d'étonnant quand le but n’est pas de défendre la vérité ! On ne cherche pas à savoir ce qui Est, mais à être dans l'opposition !⁵
Par exemple, analysons l’affaire des Macron Leaks évoquée dans la pétition. L'affaire, comme tous les événements depuis des années maintenant, a été traitée de la même manière : d'un côté, des robots et des utilisateurs diffusent l’information massivement ; de l’autre les médias esquivent le vrai débat. Dans le premier cas, les robots excluent totalement le jugement humain censé discerner le vrai du faux. Pour les utilisateurs, l’interface est conçue pour qu’ils réagissent plutôt que pour fournir un effort intellectuel pour se former, et limite ainsi le temps pris pour discerner le vrai du faux. De l'autre, les médias ne détaillent pas le contenu, mais les méthodes utilisées pour véhiculer l'information.
Que ce soit d'un côté comme de l'autre, qui des deux a agi par adhésion à la vérité ? Le robot ? L’utilisateur qui repartage après avoir (au mieux) lu le tweet (c’est-à-dire moins de 400 caractères), mais sans avoir pris connaissance d’une analyse complète, développée et argumentée des mails dévoilés ? Ou les médias qui ont subtilement esquivé la question de fond : quels sont les problèmes soulevés par le contenu des mails du Macron Leaks ?
Certains d’entre nous pensent que les Russes manipulent moins l’information que les occidentaux à notre époque… Mais ce serait oublier l'héritage de l'URSS que Poutine a reçu, lui-même ex-colonel du KGB ! Il serait naïf de croire qu'il ait abandonné ces pratiques. La « guerre d'influence » est née en Russie, dès la fin du 19ème siècle, et a été développée et perfectionnée par les Soviétiques dès leur arrivée au pouvoir. De ce fait, les Russes sont les pionniers dans le domaine de la manipulation, de la compréhension des ressorts cognitifs et dans l'usage de leviers psychologiques. Il serait donc factuellement faux de croire que les Russes manipulent moins ou qu’ils sont plus honnêtes, cela nécessiterait des études très approfondies ou être au cœur de leurs réseaux de décision, au contact de la réalité.
Seulement, dans le monde actuel, les Russes ne sont plus les seuls à être experts dans le domaine. Les GAFAM se sont énormément développés dans ce domaine de compétence depuis leur création. Les États également ont beaucoup appris dans l'usage des moyens de communication (on peut se souvenir des accords de Blum-Byrnes pour la diffusion des films américains en France après la seconde guerre mondiale).
La situation actuelle nous amène à une triste réalité : nous sommes dans l'ère de la post-vérité. La post-vérité, c’est l’indifférence des personnes face à la vérité objective. Dans l’exemple précédent, il est évident que la majorité des personnes ont réagi plus qu’elles n’ont fait un travail pour comprendre la vérité.
Face à cela, nous devons tenir une seule position : rechercher et s'attacher à la vérité objective !
Nous devons retrouver la vérité non dans l'opposition, en adhérant à ce qui s'oppose à autre chose, mais uniquement en adhérant à ce qui est conforme à la réalité.
La vérité est subtile, nous la trouverons bien plus dans les livres que dans les réseaux sociaux. Et surtout, nous ne pouvons la trouver que dans le temps de la réflexion !
Le débat n'est pas de savoir si on peut dire tout ce que l'on veut ou non, si la liberté d'expression peut être légitimement encadrée. Et de ce fait, ce que nous avons le droit de dire ou non, de lire ou non. Si notre argumentaire repose sur le libertarisme de l’expression, alors pourquoi voudrions-nous interdire la pornographie ?
Le vrai débat, c'est d'avoir le droit de réfléchir, de chercher et d'adhérer à la vérité objective. Cela implique une juste diversité d'opinion dans les médias et les sources journalistiques, mais aussi d’interdire les réseaux d’information manipulateurs pour défendre les médias qui ont pour objectif d'informer avec honnêteté – malgré les erreurs du métier et la diversité des points de vue.
Ce que nous devons donc attendre de la Viginum, c'est qu'elle combatte tous les réseaux de manipulation qui existent, qu'ils soient russes, américains, chinois, indiens, israéliens, allemands, anglais,… et même français. Qu’ils agissent sur les réseaux sociaux, dans les médias officiels et même dans les pouvoirs en place (entreprise, politique, État).
Nous ne voulons pas de manipulation, quelle qu'elle soit. Nous avons défini ce terme plus tôt – conformément à notre attachement à la vérité. Ainsi, si le but d’une chaîne d’information est bien d'informer et non de manipuler, il est totalement injuste de s'y attaquer. De même, si un État tente de réguler les médias dans le but de manipuler sa propre population, celui-ci doit être condamné.
En somme, nous ne devons pas demander à ce qu’aucune source de manipulation soit combattue, car elles sont aujourd’hui dangereuses pour les individus qui y sont exposés, dues aux avancées en guerre cognitive. Mais nous devons demander et nous assurer que la Viginum et toutes les instances de régulation médiatique de l’État soient fait dans l’unique but de défendre la recherche et l’accès à la vérité, en défendant la pluralité des points de vue dès lors que leur diffusion se fait dans un cadre honnête, à titre informatif seulement (et non de manipulation).
Concrètement, ce que nous pouvons faire à notre niveau :
- quitter les réseaux sociaux : le but est d'éviter de se faire manipuler par les groupes dits « d’influence », nous y sommes malheureusement tous confrontés. De très nombreux blogs vous permettront de vous informer constructivement et exhaustivement.
- chercher la vérité : se former, plus que s'informer ! C'est elle qui est le centre de nos maux !
- mener le bon combat : ne pas s'opposer par principe, mais bien par conviction après un réel exercice de l’intelligence pour discerner si l’opposition est justifiée ou non. En d’autres termes, défendre nos médias proposant des points de vue différents par attachement à la vérité, et non par opposition à une censure légitime.
¹ https://fr.wikipedia.org/wiki/VIGINUM
² https://www.defense.gouv.fr/comcyber/nos-operations/lutte-informatique-dinfluence-l2i
³ Contraction de "X (ex Twitter)". À prononcer [exciteur].
⁴ https://www.sgdsn.gouv.fr/files/files/20240212_NP_SGDSN_VIGINUM_RAPPORT-RESEAU-PORTAL-KOMBAT_VF.pdf
⁵ Cf Jean Ousset, *Marxisme et révolution – En finir avec le marxisme*.