Suivre l'actualité sans être manipulé, est-ce possible ?

Date de publication : 22-01-2025

Auteur : Xavier Lanne

Télécharger

icône

Entre les médias qui sont, pour la majorité, sous contrôle de milliardaires, et les réseaux sociaux qui ciblent le contenu en fonction de chaque personne, est-il vraiment possible de suivre l’actualité sans se faire manipuler ? La réponse est : oui, il y a deux solutions possibles.

Avant de donner les réponses, expliquons la source du problème qui permet et favorise la manipulation.

Note : dans cet article, nous n’aborderons que la presse écrite. Certains parallèles pourront être faits avec la radio et la télévision.

La source du problème : l’attention.

L’histoire de la presse nous apprend que la qualité de l’information dépend directement de la manière dont le journal est distribué. On estime que l’histoire de la presse papier s’est déroulée en trois étapes.

1. La presse politique

Au XIXe siècle, la presse était avant tout un outil de propagande politique. Les journaux, souvent gérés par une seule personne (à la fois journaliste, rédacteur, imprimeur), avaient une portée locale et s’adressaient à un public restreint. Leur objectif ? Diffuser des idées politiques ou philosophiques, souvent en lien avec l’actualité. Mais cette presse avait un impact limité. Elle appartenait davantage au domaine de l’édition qu’à celui de la presse.

2. La presse à scandale

Tout change en 1833 avec le New York Sun de Benjamin Day. Le journal se vend désormais dans la rue, à la criée. Ce simple changement de modèle économique bouleverse la manière de présenter l’information. Pour vendre, il faut capter l’attention immédiate du passant. Comment ? En jouant sur les émotions : la colère, la peur, la tristesse, mais aussi l’enthousiasme. En effet, rapidement, les journaux ont observé que les ventes bondissaient lors d’évènements tragiques. Ryan Holiday, auteur de Croyez moi, je vous mens nous rapporte que le plus gros tirage de l’histoire du Herald fut le bombardement de Fort Sumter. Suite à quoi, les journalistes auraient réclamé la guerre hispano-américaine.

En somme, les titres sont conçus pour être accrocheurs, les images choquantes, et les rumeurs se transforment en « faits ». Les journalistes n’hésitent plus à inventer ou déformer la réalité. Le but : faire vendre. Un journal qui ne se vend pas s’assure une mort rapide.

3. La presse morderne

Face à ce déluge de sensationnalisme, le New York Times introduit un nouveau modèle : la presse à abonnement. L’idée est simple : offrir une information de qualité à un prix abordable. Le système repose sur un autre équilibre : gagner la confiance des lecteurs pour qu’ils soient fidèles. Si le journal déçoit, l’abonné ne renouvellera pas. Ce système repose sur la confiance et pousse les médias à privilégier la rigueur journalistique plutôt que les coups médiatiques.

En résumé, la qualité de l’information diffusée par la presse est étroitement liée à la certitude des journalistes de capter l’attention du public. En d’autres termes, le véritable enjeu réside dans l’attention. L’objectif principal de la presse est d’être lue, sans quoi elle perdrait toute pertinence. Les journalistes s’efforcent donc, par tous les moyens possibles, de fidéliser leur lectorat à leur propre presse pour faire face à celle de leurs concurrents. C’est leur unique moyen de subsistance : sans public, ils ne peuvent pas gagner leur vie.

Internet : une révolution de l’information

L’arrivée d’Internet bouleverse la manière dont les informations sont distribuées. D’abord présenté comme une avancée majeure pour la démocratie, nous nous rendons compte aujourd’hui que ce n’est pas si évident.

Il y a tout d’abord le problème de la sur-information. Les informations arrivent de toute part, nous ne savons plus où donner de la tête. Il y a tant d’informations que nous ingérons, qu’on en oublie de nous forger notre propre opinion, nous oublions de comprendre, nous oublions de réfléchir… malheureusement.

Puis, avec ceci arrive le problème de la rémunération. Les blogs se rémunèrent le plus souvent par l’affichage de publicités. Pour cela, ils vendent de petits espaces où pourront s’afficher des pubs. Quand une pub s’affiche, ça leur rapporte de l’argent.

À ce stade, il est facile de comprendre qu’avec un tel système, nous avons recréé la presse à scandale :

  1. Pour gagner de l’argent : cela consiste à maximiser le nombre de clics sur chaque article. Le but de ces blogs est de pousser l’utilisateur à cliquer un maximum de fois. On se fiche de savoir s’il lit l’article. Le but, c’est qu’il change un maximum de fois de page pour afficher autant de fois des pubs.

    Il n’est pas un hasard si, sur beaucoup de blog, les articles utilisent une largeur ridiculement petite de l’écran. De même, ne croyez pas que les interfaces ont été conçues pour être pratiques et agréables. Non, elles sont conçues pour que vous cherchiez les éléments nécessaire et que votre attention soit accaparée un maximum de temps par les pubs. C’est la raison pour laquelle ce blog adopte une interface complètement différente : prendre le contre-pied de ce système et proposer un blog agréable mais avant tout pratique.

  2. Maximiser son lectorat : sur ce point, le blogging démultiplie les travers de la presse à scandale il y a un siècle. Ce ne sont plus quelques journaux qui se disputent le public, mais des millions de blogs qui sont en concurrence. Or, on estime que les utilisateurs passent en moyenne une minute sur un blog. On estime également que le blog dispose d’une seule seconde pour accrocher le visiteur. Ainsi, le blog se doit d’être accrocheur dès le premier regard. Ensuite, il lui faut des titres raccoleurs pour que les gens cliquent… Et que s'affichent d'autres publicités.

  3. Le cas des réseaux sociaux : les réseaux sociaux ne sont pas épargnés. Mais alors vraiment pas ! Les réseaux sociaux sont l’apothéose de la manipulation.

    C’est exactement la même chose que le blogging, à la différence que celui qui génère le contenu est le public, et non des rédacteurs. Ainsi, chaque personne est en compétition avec tous les autres utilisateurs. Et les algorithmes de recommandation sont là pour arbitrer qui est mis en avant ou non dans le but de maximiser l’attention volée aux utilisateurs. En d’autres termes, les personnes manipulent pour se faire entendre et voir en postant des propos choquant ou mensongers, et les algorithmes régulent ça pour démultiplier les effets de la manipulation. Il n’est pas un hasard si YouTube a changé son algorithme de recommandation pour mettre en avant les vidéos qui font réagir : celles qui sont partagées et commentées !

    Voici un exemple récent (pris au hasard) d’un post X révélateur de la manipulation ambiante sur le réseau social.

    Il s’agit du tweet de Clémence Guetté1. Ce post rassemble tous les ingrédients d’une manipulation millimétrée :

    1. Une phrase d’accroche racoleuse mais qui ne dit rien : “L’extrême droite, au pouvoir, c’est ça.

    2. Une seconde phrase en guise de conclusion qui implique le public dans sa démarche : “Résistez, militez, votez […]”. Et qui incite à la réaction immédiate en créant une tension sur une limite de temps inconnue : “[…] avant qu’il ne soit trop tard.

    3. Un extrait de 9 secondes d’une vidéo de Musk (la vidéo originale de Musk dure 3m52s) : une vidéo suffisamment courte pour que tout le monde la regarde. Elle est rognée de manière grossière : ceux qui sont de son bord la soutiendront, ceux qui ne le sont pas iront chercher la vidéo originale pour débunker.

    4. Aucun mensonge : uniquement des sous-entendus. Rien n’est dit. Le public doit comprendre de lui-même que Musk aurait fait un salut nazi… Ce qui n’est évidemment pas le cas, et ce que n’a pas dit Clémence Guetté. Mais le public est poussé à comprendre ce qui ne doit pas être compris. Le public est impliqué dans la compréhension même du message, et favorise donc la réaction (puisqu’il s'est déjà engagé intellectuellement pour comprendre le message).

    Résultat : tout le monde est en colère et tout le monde réagit. Mais le véritable but était uniquement de se donner un coup de pub, se mettre sur le devant de la scène. Le meilleur moyen était d’utiliser la colère. Et Clémence l’a parfaitement compris et utilisé. Elle n’en a rien à faire de la vérité. Le vrai but est atteint : 900 000 vues, 3500 réponses, 3000 repartages, 14000 j’aime… Une réponse qui tente de rétablir la vérité aura au mieux 2 fois moins de vues et de réactions. La bataille est perdue d’avance, parce qu’on ne joue pas sur le même terrain.

    Combien sont tombés dans le piège ? Combien ont fait le jeu de Clémence Guetté ? Mérité-t-elle qu’on lui donne cette visibilité ? Elle a placé les personnes de droite exactement là où elle voulait. Mais le mal est là : son post a fait des milliers de vues et des réactions toutes plus déchaînées les unes que les autres.

    Elle savait très bien ce qu’elle faisait, c’était grotesque et grossier, mais elle n’est pas fautive. Elle n’a jamais dit qu’il s’agissait d’un salut nazi. Il n’y a pas eu de mensonge. Il n’y a eu que manipulation. Et elle a gagné.

  4. Ceci n’est qu’un exemple, la quasi-totalité des posts viraux sont comme ça. Nous sommes manipulés pour réagir et donner de notre temps à la plateforme. De cette manière, un maximum de publicités atteignent leur but. La plateforme gagne plus d’argent. Et la personne qui sait tirer parti de ce système gagne en visibilité.

    Tout n’est que manipulation.

Les solutions

À présent que nous comprenons un peu comment fonctionne le système médiatique et les fondements de la manipulation, nous pouvons présenter deux solutions pour suivre une actualité de qualité sans se faire manipuler.

Les solutions ont en commun un aspect : renverser le système médiatique pour que celui qui a le pouvoir soit le lecteur.

En effet, nous voyons qu’à travers la presse à scandale, les blogs et les réseaux sociaux, ceux qui exercent en premier le pouvoir sont les rédacteurs. Ce sont bien eux qui mettent en place des stratégies pour capter l’attention des utilisateurs, et non l’utilisateur qui choisit ce qu’il va voir et lire.

Il faut au contraire que ce soit le lecteur qui choisisse ce qu’il lit, de manière intelligente et responsable. Les solutions consistent donc à replacer l’utilisateur comme celui qui contrôle les informations qu’il voit.

1. La presse à abonnement

C’est la première solution : revenir au système de la presse moderne. En d’autres termes, payer pour lire des informations. Ce système a fait ses preuves et repose sur un équilibre naturel : le lecteur s’engage à payer pour un certain temps, et le média sera obligé de fournir des informations de qualité s’il veut garder son client.

Le choix n’est pas impulsif comme le serait un clic. Il est réfléchi, et il est librement posé par le lecteur.

2. Les flux RSS

C’est exactement le même principe que l’abonnement, mais c’est gratuit, et ça fonctionne pour la majorité des blogs.

Aujourd’hui, la très grande majorité des blogs obtiennent leurs visiteurs via Google ou les réseaux sociaux. En d’autres termes, les blogueurs n’ont que des lecteurs éphémères, qui arrivent sur leur site à la suite d’une recherche ou d’un post sur les réseaux sociaux.

Si les lecteurs étaient fidèles, les blogs n’auraient pas besoin de créer des informations à scandale pour tenter de garder le visiteur. Ils se concentreraient sur le contenu.

Si la majorité des blogs ne poussent pas à l’utilisation des flux RSS, c’est pour une raison : ça ne rapporte pas assez et pas assez vite. Tout d’abord, il n’y a pas de pub. D'autre part, les flux RSS ne permettent pas de traquer le nombre de vues. La solution n'est donc pas idéale pour savoir si on a un vaste public, encore moins pour s'assurer que notre article a été lu des milliers de fois.

C’est pour cette raison que le RSS n’a jamais vraiment atteint le grand public. Il s’oppose directement aux intérêts de ceux qui auraient voulu pousser les lecteurs à l’utiliser. Malgré les merveilleux témoignages de lecteurs satisfaits et les investissements importants de Google et consort, il ne faut pas s’étonner de cet échec. Par conséquent, si, aujourd’hui, les boutons RSS disparaissent des blogs et des moteurs de recherche, dites-vous bien qu’il s’agit d’un acte volontaire, pour que les lecteurs puissent être plus facilement trompés.

Ryan Holiday, Croyez-moi, je vous mens — Confessions d’un manipulateur des médias, 2015

En somme, le flux RSS est une véritable solution pour suivre l’actualité. Il fonctionne sur le même principe que le système d’abonnement. On utilise une application : un agrégateur de flux RSS2. Dans cette application, on peut inscrire autant de sites qu’on le souhaite. Et l’application se charge de récupérer les derniers articles des blogs auxquels l’utilisateur s’est abonné. C’est simple, c’est propre, et c’est l’utilisateur qui choisit ce qu’il lit ou ne lit pas.

Conclusion

Pour terminer, il faut retenir que la majorité des blogs gratuits et les réseaux sociaux sont des machines à manipuler.

Avec l’arrivée d’Internet, la surinformation oblige les créateurs de contenu à se rendre visible en utilisant des techniques de manipulation.

La seule manière de suivre l’actualité en se protégeant de la manipulation est de s’abonner soi-même aux sources qu’on souhaite. Ainsi, le lecteur est au centre du processus de décision de ce qu’il voit. S’il n’est pas satisfait, il se désabonnera. Sinon, il continuera de lire les articles qui lui plaisent. Par ailleurs, s’il reste fidèle aux blogs qu’il suit, cela est gratifiant pour les créateurs de contenu.

Ce système est simplement vertueux. Nous devons l’adopter !



  1. Je ne suis pas sûr qu’elle mérite une vue de plus, mais je mets quand même la source : https://x.com/Clemence_Guette/status/1881454836836897106 ↩︎
  2. Voici deux noms d'applications simples et efficaces que j'ai pu tester : Flym DecSync sur Android et NewsFlash sur Linux. Mais libre à vous de trouver ce qui vous convient le mieux ;) ↩︎

Les textes de ce site sont sous licence Creative Commons Attribution-NonCommercial-ShareAlike 4.0 International.
En plus des conditions de cette licence, il est interdit d'utiliser ce matériel pour entraîner des intelligences artificielles.