Sommaire
Note : Dans cet article, lorsque nous parlons d'IA, nous désignons exclusivement les IA générant du texte.
Un demi-quinquennat seulement. L'intelligence artificielle continue de faire parler d'elle, et surtout, elle trouve de nombreux financements pour se développer. Deux années auront suffi pour que plus de 500 millions de personnes adoptent ce nouvel outil au quotidien. L'adoption est fulgurante. C’est cinq fois plus d’utilisateurs qu’il n’y avait de requêtes Google quotidiennes fin 2000.
Certains disent que l'IA est en train d'éclipser les moteurs de recherche. D'autres disent –ou espèrent –que le but de l'IA est de remplacer l'homme dans le travail.
Dans ce contexte, il est difficile de trouver une ligne claire pour orienter moralement notre usage de l'IA, comprendre son utilité réelle. Avec près de trois ans de recul, je souhaiterais vous fournir mon point de vue. Je vous propose une analyse approfondis des tâches pour lesquelles l'IA est adaptée.
L'analyse s'éloigne autant de la technophobie, que certains adoptent par excès de prudence et mécompréhension de l'IA, que de l'excès inverse : le transhumanisme qui souhaite modifier l'homme et promeut son propre dépassement par l'IA. C'est À travers une réflexion À la fois concrète, technique et philosophique que je vais tenter de proposer des pistes.
L'usage dépend du fonctionnement technique
Les capacités de l'IA sont directement liées À son fonctionnement technique.
Le réseau de neurones…
Le cœur des IA génératives est le réseau de neurones. Inspiré du monde animal, ce cerveau artificiel est conçu pour analyser des phrases en entrée –extraire les idées principales et les relations entre elles –et générer des phrases en sortie. C'est tout, et c'est déjÀ énorme. Sans cela, impossible de traiter automatiquement le langage humain1.
Les LLM –grands modèles de langage en français –ont donc pour capacité de traiter le langage, comme son nom l'indique. Cependant, l'outil n'a aucune conscience du sens véritable des phrases qu'il génère. Les réponses peuvent être sensées, comme ne pas l'être. Toutefois, étant donné que les textes d'entraînement ont dans l'ensemble beaucoup de sens, l'IA générera le plus souvent des idées qui ont du sens. À ce titre, les algorithmes d'apprentissage ont été optimisés entre la version 3.5 de GPT et la version 4 pour justement réduire la probabilité que le texte de sortie soit « hallucinant ».
Ces hallucinations nous disent une chose : parler est bien, mais penser avant de parler est mieux (c'est valable pour l'homme d'ailleurs 🙃). Or, pour le moment, la machine ne pense pas. Et il est important de distinguer parler d'avec penser. De même, répondre À une question ne signifie pas « comprendre », saisir le sens des idées et peser les différents éléments pour que s'assurer que ce qui est exprimé est vrai.
Seul l'homme est capable de peser les vrais du faux, et le bien du mal. (Cette dernière question étant d'ailleurs directement liée au problème de l'alignement : comment inculquer À l'IA la loi naturelle déposée dans le cœur de l'homme, afin de lui donner des limites morales ? Réponse : impossible.)
…un générateur de phrase
Sur cette base, nous pouvons établir l'usage approprié des LLM, alignés sur leur fonctionnement : le traitement du langage en lui-même. Par exemple : la correction (orthographe et grammaire), la traduction, la recherche de synonymes, la reformulation de texte, le résumé, l'analyse de sentiment.
Si l'IA excelle dans cette tâche, c'est parce que son réseau de neurone a été entraîné À générer des phrases qui ont du sens. Elle est donc, avant tout, capable de traiter le texte, son style et sa forme. Elle est beaucoup moins capable de générer des « idées » de fond.
Un outil de recherche
Depuis quelques mois, les IA intègrent des agents. Le plus répandu est l'agent de recherche qui, pour un prompt donné, réalise (si nécessaire) une recherche sur Internet afin de fournir une réponse basée sur des sources précises.
Vers les débuts de ChatGPT, j'ai vu un certain nombre d'articles minimisant, voire négligeant, le rôle de l'IA pour faire des recherches, et la présentait comme un simple outil de rédaction et de génération de contenu. C'est une erreur, la réalité est tout le contraire. La capacité À chercher est la plus grande qualité de l'IA. On commence À se rendre compte aujourd'hui qu'elle pourrait même éclipser les sites web.
Quand on pose une question À l'IA, elle est capable de trouver, parmi de multiples sources, l'ensemble des phrases qui, ensemble, répondront avec précision. Concrètement, le prompt est analysé par l'IA pour en extraire les idées et le sens, elle réalise une recherche « Google », elle corrèle et extrait les éléments qui répondent précisément À notre question, puis génère une réponse synthétique.
En somme, Google répondait À des mots-clés par une liste d'articles. Il simplifiait l'accès aux articles et aux sources pour des sujets donnés. Cette méthode par mots-clés, dépourvue de contexte, rend la recherche par nature ambiguë. Les LLM peuvent en revanche répondre À des questions formulées en faisant ressortir les paragraphes et les phrases pertinentes des articles. Ils simplifient l'accès aux informations. En ce sens, l'IA ne peut pas être condamnée.
De ce point de vue, les IA sont un outil de recherche extrêmement évolué, capable de répondre et de trouver les sources d'informations précises pour répondre facilement À des questions relativement complexes. En cela, pour des questions floues dépendant d'un contexte donné, les IA permettent d'obtenir une réponse précise.
Les IA réflexives
Les IA réflexives, comme o1, o3, Deepseek R1 ou encore Grok3 ou Qwen3, poussent plus loin les capacités du réseau de neurones. Utiliser la fonction réflexion pour chaque recherche est une perte de temps et d'énergie considérable, il est important de bien cibler les cas d'usage de cette fonction.
Cette fonction consiste À pousser le réseau de neurones À dérouler une pensée comme le font les êtres humains. C'est ce qu'on appelle la chaîne de réflexion (Chain-of-Thought). En effet, quand on nous pose une question, nous cherchons les éléments de réponse avant d'exprimer la réponse définitive. On procède À la réponse par étapes : la réflexion –recherche, corrélation et autoévaluation des éléments de réponse –expression de la réponse. La majorité du temps, ce dialogue se fait intérieurement, dans notre esprit.
La fonction de réflexion reproduit le plus possible ce mécanisme. Pour une question donnée, l'IA commence par déduire une liste de tâches pour atteindre le but, les déroule une par une, s'interroge elle-même sur ses propres résultats. En d'autres termes, elle simule ce « dialogue intérieur » permettant de recréer la chaîne de réflexion. Ce mécanisme augmente considérablement la qualité et la fiabilité de la réponse, notamment pour des tâches logiques (sciences). Une fois cette étape de réflexion faite, il ne reste plus qu'À formuler la réponse.
Cette fonctionnalité est particulièrement intéressante lorsqu'on veut découvrir un nouveau domaine bien précis. Il ne s'agit pas de remplacer Wikipédia, qui est une encyclopédie permettant de découvrir un concept avec précision. Il s'agit plutôt de découvrir les relations entre plusieurs domaines.
Ainsi, la force de cette fonction est la mise en relation et l'articulation des concepts entre eux, permettant de découvrir de nouvelles choses, orientant alors nos recherches beaucoup plus rapidement vers leur but.
Elle est également utile pour réaliser des recherches À « dimensions multiples ». Par exemple, si je veux développer un site web complet, avec une base de données et utilisant un certain langage de programmation que je ne maîtrise pas totalement, l'IA fournira un premier code complet et cohérent. Le contexte et le but donné À l'IA me permettront alors de découvrir l'ensemble des techniques et pratiques courantes dans ce cas d'usage. Attention toutefois À n'en pas rester lÀ. Le code doit ensuite être maîtrisé : c'est-À-dire, relu, compris, jugé et si nécessaire corrigé, amélioré.
Dans ce dernier cas, l'IA permet de trouver l'ensemble des éléments de réponse correspondant au cas particulier dans lequel on se trouve, en une seule « recherche ». La réponse est bien générée, mais on peut, dans cette circonstance, estimer que le fruit de ce travail consiste "simplement" À mettre en relation des éléments déjÀ existant et documenté que l'IA a appris. Elle ne produit fondamentalement rien de nouveau, si ce n'est la mise en relation des différentes briques du logiciel. C'est pour cette dernière qu'il faut absolument prendre le temps de comprendre et juger le résultat.
Réflexion et recherche sur Internet : deepsearch
L'association de la réflexion avec l'agent de recherche sur Internet est extrêmement puissante pour des sujets complexes non directement documentés. En effet, dans cette configuration, l'IA va être capable de découper votre prompt en plusieurs étapes de recherches, dépendantes les unes des autres. Le résultat d'une recherche déterminera les recherches suivantes. Elle saura ainsi avancer par étapes, jusqu'À avoir trouvé un résultat qui répond de manière satisfaisante À la question.
Cette recherche par étapes, sans négliger la capacité À mettre en relation des informations, fait de l'IA un outil extrêmement puissant pour trouver l'ensemble des sources d'informations nécessaires À la réponse À des questions complexes. LÀ où, il y a encore quelques années, nous devions mettre plusieurs heures pour réunir l'ensemble des informations pour construire une analyse complète, À présent, l'IA peut rapporter toutes ces sources en quelques minutes, pointant directement les propos pertinents présents dans chaque source.
Si vous voulez faire une étude basée sur un ensemble d'études statistiques déjÀ existantes afin de montrer une relation sociétale complexe, vous feriez probablement bien de commencer par demander À l'IA d'effectuer une recherche profonde pour vous. Vous aurez ensuite tout le temps de vérifier et de vous approprier les résultats et d'en formuler une réponse jugée et pesée.
En somme, la capacité réflexive de l'IA rejoint Antiqua et Nova : « elle excelle À intégrer des données provenant de divers domaines, À modéliser des systèmes complexes et À faciliter les liens interdisciplinaires » (§30).
IA vs moteurs de recherche
Les moteurs de recherche que nous connaissons bien vont effectivement perdre en visibilité, mais ils sont loin de disparaître. C'est simplement leur interface qui se métamorphose en chat de conversation : on fait nos recherches en langage naturel. Les IA utilisent elle-même les moteurs de recherche pour répondre efficacement aux questions, comme nous l'avons vu précédemment.
Cependant, ils ne vont pas non plus totalement disparaître, car la rapidité et la présentation des résultats sous forme de liste reste utile dans certains cas, et l'IA ne saura rivaliser. C'est notamment le cas lorsqu'on sait la ressource qu'on cherche sur Internet. Par exemple, si vous voulez aller sur un site d'achat en particulier, lire une page Wikipédia, ou lire un article précis de cyberethique.fr, vous aurez intérêt À chercher la ressource depuis un moteur de recherche.
La force de l'IA n'est pas de faire découvrir des ressources sur Internet, mais bien des informations. Le moteur de recherche, au contraire, vous fera découvrir les ressources, qui peuvent elles-mêmes contenir des informations, mais pas l'information elle-même. VoilÀ la différence majeure entre ces deux outils.
Conclusion
L'IA est donc un outil extrêmement puissant pour trouver et compiler des informations afin de répondre À des questions complexes et contextualisées.
Cependant, nous limitons grandement l'IA À un outil de recherche, plus qu'À un outil de génération de contenu. La différence entre les deux n'est pas si évidente puisque l'IA synthétise les réponses en générant du texte. Elle est principalement liée À la façon dont l'utilisateur entretient son rapport À l'outil : lui délègue-t-il le développement complet de la tâche, ou l'utilise-t-il en prenant le temps de s'approprier et de juger le résultat de l'IA ?
Ce qui est défendu ici, c'est que le fruit du travail soit pesé par la conscience humaine, celle qui est capable de discerner le vrai du faux, et le bien du mal. Les IA ne seront jamais capables de cela. C'est la raison pour laquelle il ne faut jamais leur déléguer la totalité de la chaîne de travail.
Par ailleurs, impliquer sa personne dans le travail réalisé est source de vérité dans les relations et dans nos actes. C'est ce À quoi aspire le chrétien. C'est la raison pour laquelle nous proposons ici de limiter l'usage de l'IA À un outil de recherche extrêmement avancé.
Nous n'ignorons cependant pas que l'IA est capable « d'agir ». Elle peut activement gérer vos mails, voire même l'ensemble de votre ordinateur À votre place. Elle peut développer des programmes et les exécuter. Nous admettons que cela est possible, cependant, le manque de conscience, et d'esprit de la machine rend le résultat peu sûr et peu fiable (à l'inverse de tous les autres outils créés jusqu'ici). L'IA est très douée pour traiter le langage et le texte, pas pour générer des idées de fond, car il lui est impossible d'en peser la véracité. Cela nous amène À dire qu'un usage où l'IA génère du contenu sans contrôle strict de l'humain est dangereux.
Pour cette raison, nous cantonnons l'IA à un outil de recherche ou du traitement du langage. C'est sa vocation et sa force principale. En ce sens, cet article se place dans la continuité d'Antiqua et Nova en proposant une mise en application concrète et cohérente de l'usage de l'IA.
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On appelle cette tâche « NLP » : Naturel Language Processing.↩︎