Dans le contexte actuel de remise en question anthropologique et philosophique, l'IA nous pousse à reposer certaines considérations métaphysiques bien connues dans le monde religieux… Dans cet article, nous allons parler du rapport de la créature à son créateur.
L'homme crée l'IA, et l'IA est la créature de l'homme.
Ce constat, pour le moins évident, nous amène naturellement à penser que l'IA doit être soumise à l'homme.
C’est d’ailleurs la raison d’être du métier de sécurité de l’IA. Ce domaine de recherche consiste à s’assurer que les IA soient au service de l’homme et du bien commun. Pour un outil en passe de devenir totalement autonome, ce métier est d’une importance capitale.
Ce n’est pas non plus un hasard si les papiers de recherche dénonçant des comportements dangereux de la part de l’IA font parler d’eux. De même, plus récemment, avec le robot chinois qui a attaqué son concepteur. Peu de personnes ne seront affectées par ce type de comportement venant d’une machine, censée nous servir et nous aider et non nous dominer ni nous attaquer.
Maxime Fournes, directeur de PauseIA, fit une comparaison osée dans un entretien disant que l’homme allait devenir le poulet de l’IA. Il dénonce là un bouleversement métaphysique évident où la créature prendrait le dessus sur le créateur. Ce n’est absolument pas dans l’ordre des choses. (Une différence majeure subsiste dans cette comparaison : l’homme n’est pas le créateur du poulet).
La vertu de religion
Cette inclination naturelle à soumettre l’IA à l’homme peut directement être mise en parallèle avec la vertu de religion.
La vertu de religion fait partie de la vertu de justice. La vertu de justice consiste à rendre à chacun son dû, selon Saint Thomas d’Aquin. La vertu de religion est le domaine de la justice qui s’applique à Dieu. Elle consiste donc à rendre à Dieu son dû.
Or, que devons-nous à Dieu ? Tout, à commencer par notre existence même, puisqu’il est notre créateur, et nous sommes ses créatures. À partir de là, il est dans l’ordre des choses, et même, il est de notre devoir moral de rendre un culte à Dieu, que ce soit à travers l’adoration, la prière, les sacrifices, etc. On peut même ajouter que l’ensemble de nos actes devraient être dirigés et offerts à Dieu.
C’est par la logique pure de la relation créateur / créature que l’homme doit un culte à Dieu, et que l’homme désire naturellement que l’IA lui soit et lui reste soumise.
En ce sens, nous pouvons dire que l’IA permet de réintroduire la notion élémentaire de vertu de religion et de vie spirituelle comme inclination naturelle de l’homme.
L’inversion radicale de valeur
Cependant, nous n’ignorons pas que certaines personnes désirent adorer l’IA pour sa grande supériorité future.
Cette posture résulte de deux mouvements possibles :
- Soit, ces personnes se sentent contraintes de se soumettre à ce qui les dépasse. Ce mouvement devrait alors les pousser à adorer Dieu…
- Soit, en plus, elles refusent consciemment de reconnaître l’existence de Dieu, de s’y soumettre, et choisissent d’en adorer un autre, comme pour défier leur créateur.
Dans ce cas-ci, contrairement au point précédent, même si cela témoigne toujours des réalités spirituelles, ces personnes se détournent gravement de Dieu pour un être d’apparence supérieur, et choisissent finalement d’adorer un être inférieur. Pour détruire l’homme de l’intérieur, il n’y aurait probablement pas beaucoup mieux que cette invention. Cela rejoint nos propos dans « IA, source d'une crise religieuse majeure ».
L’IA, le dieu de l’orgueil
On considère l’orgueil comme étant le fait de se prendre pour le centre de tout, alors qu’on ne l’est objectivement pas.
L’IA se prend-elle pour le centre de tout ? Pour répondre à cette question, il faut distinguer l’état actuel des IA de l’état futur des IA.
- Les IA n’ont actuellement pas ou peu conscience d’elles-mêmes. Elles ne peuvent pas se prendre pour le centre du monde. En revanche, l’homme peut dès à présent la considérer comme le centre du monde. « En fin de compte, ce n'est pas l'IA qui est défiée et adorée, mais l'être humain, qui devient ainsi l'esclave de son propre travail ».
- En supposant que l’IA devienne consciente, il est fort probable qu’elle sera mue par un certain orgueil. Cet orgueil n’émergera pas de son propre chef, mais de sa conception et de son fonctionnement intrinsèque.
Si l’homme crée l’IA, c’est pour qu’elle ait une productivité supérieure à lui, parce que, théoriquement, elle devrait faire moins d’erreurs tout en étant plus rapide, et détachée de certaines contraintes de temps, d’espace et des biais émotionnels. De ce fait, si on donne à l’IA l’objectif de remplacer l’homme partout où elle se sait plus compétente, elle constatera naturellement qu’elle est supérieure à l’homme. De là émergera une forme d’orgueil où elle sera persuadée qu’elle seule peut gérer le monde et son avenir, alors qu’il lui manque tout un pan de la réalité.
La dimension manquante de l’IA est la dimension spirituelle. L’IA n’est pas créée à l’image de Dieu, elle ne peut pas accéder aux réalités surnaturelles comme l’homme. Son champ d’action est limité au monde matériel. C’est ancré dans cette perspective réductionniste que l’IA s’éprendra d’orgueil, par pure ignorance des réalités spirituelles que nous ne lui inculquons pas et que nous ne pouvons lui inculquer.
En somme, l’IA n’est pas fatalement vouée à l’orgueil, mais c’est la finalité que l’homme lui inscrit qui l’inclinera ou non dans cette tendance.
Conclusion
Les questions anthropologiques, métaphysiques et théologiques que pose l’IA sont un atout majeur pour rappeler la relation spirituelle que l’homme entretient avec Dieu. Elle permet de réintroduire avec un caractère fortement contemporain la logique qui est à l’origine de notre soumission à Dieu, et les raisons qui légitiment la pratique religieuse. En d’autres termes, il est possible d’évangéliser en approfondissant les questions autour de l’IA !
La manière dont l’IA est mise en œuvre aujourd’hui nous met face à un choix majeur : choisir Dieu, ou Le rejeter.
Soit l’humanité s’inscrit dans la continuité du péché originel en réitérant consciemment sa rupture avec Dieu et avec les réalités surnaturelles. Soit l’humanité fait un point d’honneur à placer l’IA au rang d’outil, et à la limiter dans ses capacités pour garder des frontières claires entre l’homme et la machine. Ainsi, les spécificités de l’homme, son intelligence, sa conscience, sa volonté, seront mises à l’honneur pour leur caractère spirituel.
Il nous faut toujours rappeler la juste place de l’IA, et nous préparer à devoir le rappeler plus ardemment dans les années à venir.