Pape Léon XIV : La famine spirituelle à l'ère de l'IA

Date de publication : 26-06-2025

Auteur : John Mac Ghlionn

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Cet article est une traduction de l’article “Spiritual starvation in the age of AI” paru le 23 juin dernier dans TheCatholicHerald.



Le pape Léon XIV a récemment lancé un avertissement frappant qui mérite beaucoup plus d’attention qu’il n’en a reçu. Lors d’une conférence sur l’IA et l’éthique, le pontife a mis en garde contre le risque que l’intelligence artificielle perturbe le développement cognitif, émotionnel et moral des jeunes. Puis, sans plus d’explications, il est passé à autre chose, laissant l’auditoire méditer en silence le poids de ses paroles.

Cette retenue est typiquement papale : diplomatique, soigneusement formulée et d’une sobriété redoutable. Quand le chef de 1,3 milliard de catholiques s’inquiète de quelque chose affectant les enfants, la réalité est presque toujours bien pire que le ton mesuré de ses propos.

Le pape n’a donné aucune précision, peut-être à raison, évitant le rôle de critique technologique. Mais quelqu’un doit relier ces points laissés en suspens. Il faut expliquer exactement comment l’IA remodèle l’esprit des jeunes et pourquoi cela devrait nous inquiéter profondément.

La Silicon Valley a perfectionné l’art de capturer l’attention humaine avec une précision scientifique. Les algorithmes d’IA étudient les habitudes de comportement, les déclencheurs de dopamine et les systèmes de récompense neuronale pour créer ce que les chercheurs appellent pudiquement « l’optimisation de l’engagement ». Un terme plus honnête serait « ingénierie de l’addiction ».

Les systèmes d’IA actuels n’apprennent pas seulement ce que nous aimons ; ils apprennent comment nous accrocher. Les boucles de récompense variables, directement inspirées des machines à sous de Las Vegas, alimentent chaque scroll. Et les enfants ? Ils sont la proie la plus lucrative. Leurs cerveaux sont encore en construction, les échafaudages neuronaux à peine en place. Exposés à ces systèmes artificiels de récompense conçus par des plateformes valant des billions, ces circuits fragiles se reconfigurent. Pour toujours.

Les capacités de concentration s’appauvrissent. La capacité à focaliser, à réfléchir, à différer une gratification – tout cela disparaît comme un muscle jamais sollicité. Et l’ennui ? Autrefois caractéristique de l’enfance, il est aujourd’hui perçu comme un bug. Les générations précédentes rêvaient en silence, se forgeaient la patience dans l’immobilité. Les enfants d’aujourd’hui traitent chaque moment d’oisiveté par un écran. L’ennui n’est plus une pause naturelle ; c’est un problème à résoudre au plus vite par la sédation digitale.

Les IRM confirment ce que notre intuition pressent : la surexcitation numérique modifie le cortex préfrontal, siège de la planification, du contrôle de soi et de la pensée profonde. Des études de UCLA, Harvard et d’autres montrent des altérations structurelles chez les enfants qui consomment trop de technologie.

Les chercheurs emploient désormais des termes comme attention partielle continue et démence numérique. Mais pas besoin d’euphémismes. Nous façonnons des esprits incapables de rester immobiles, de penser profondément ou de supporter le silence. Et c’est volontaire. Plus inquiétant encore que l’effet de l’IA sur la cognition, c’est son impact sur la connexion humaine. Des compagnons artificiels simulent désormais l’amitié avec une précision troublante. Ils ne se trompent jamais, ne se disputent jamais, ne se replient jamais. Ils reflètent vos émotions sans en avoir aucune. Pour les enfants qui apprennent encore à gérer de vraies relations, c’est une distorsion. La relation humaine exige patience, conflit, pardon. Elle dépend de la lecture du non-dit, du décodage des expressions faciales, de la gestion de la déception. Les machines n’offrent rien de tout cela. Elles offrent une affirmation émotionnelle sur commande – fluide, maîtrisée et sans coût.

Le résultat ? Une génération de plus en plus désenchantée par la réalité. Les êtres humains réels semblent inadéquats : trop lents, trop compliqués. À mesure que la compagnie artificielle devient plus fluide, les relations réelles pèsent. Les enfants ne passent pas seulement plus de temps devant les écrans : ils se laissent façonner par eux. Les données confirment ce que parents et enseignants ressentent déjà. La solitude des ados explose, la santé mentale dégringole. La dépression, l’anxiété et l’automutilation explosent avec l’engagement numérique. Plus ils sont connectés en ligne, plus ils sont déconnectés entre eux.

L’avertissement du pape ne s’arrête pas à la psychologie. Il vise plus profond – un sujet que la plupart évitent. L’IA, a-t-il dit, menace le développement spirituel des jeunes. Il a raison. La croissance spirituelle, qu’elle soit religieuse ou non, exige le respect de l’inconnu : un sens de l’émerveillement, une tolérance à l’ambiguïté. Mais l’IA promet des réponses à toutes les questions, de la clarté pour chaque doute et une certitude suffisante pour évacuer toute part de mystère. Nous suralimentons l’esprit et affamons l’âme.

Les enfants élevés aux réponses instantanées n’apprennent pas à lutter avec le mystère ; ils apprennent à l’éviter. Ils deviennent informativement obèses mais philosophiquement émaciés. La foi ne dépérit pas en présence du doute ; elle dépérit quand la certitude en devient le substitut. Les chercheurs en éducation parlent désormais « d’effet Google » : l’habitude de se souvenir d’où trouver l’information, pas de l’information elle-même. L’IA ne fera qu’accélérer ce processus, transformant les cerveaux en interfaces passives, en moteurs de recherche incarnés.

Peut-être ce qui est le plus accablant, c’est ce que l’IA fait à la créativité. La créativité exige friction. Échec. Révision douloureuse. L’IA évite tout cela. Elle vous livre un produit fini avant même que vous n’ayez essayé. Pourquoi suer sur une page blanche quand un algorithme peut écrire le poème, composer la mélodie, peindre le tableau ? Pourquoi affronter vos propres limites quand une machine peut les masquer ?

Or c’est dans cette lutte, imprévisible, chaotique, magnifique, que se produisent la croissance et l’apprentissage. C’est là que les enfants comprennent qu’ils ont quelque chose à dire. L’IA ne remplace pas l’artiste ; elle supprime l’apprentissage. Elle dit aux enfants qu’ils ne sont pas créateurs, juste conservateurs, ingénieurs de prompts. Supprimez l’effort de création, supprimez la base de la confiance intellectuelle : la capacité d’imaginer, de construire, de tolérer l’incertitude. Sans cela, l’esprit apprend à se soumettre à la machine, à déguiser la dépendance en « émancipation » et à appeler cela progrès.

L’avertissement du pape était bref, mais porteur d’urgence. Il ne s’agit pas du temps passé devant l’écran. Il s’agit du démantèlement systématique de la capacité humaine, de l’effacement silencieux de notre aptitude à penser, ressentir, s’émerveiller et créer. Nous ne pouvons externaliser la résistance. Elle doit être construite. Parents, enseignants, mentors, il faut tracer des brèches maintenant. Défendre l’ennui, protéger le silence, préserver les défis. Non pas parce que nous craignons l’avenir, mais parce que nous savons à quel point l’esprit devient fragile sans friction. Et surtout, il faut en être l’exemple. Les enfants n’imitent pas ce que nous disons, ils absorbent ce que nous sommes. Si nous sommes tout aussi accrochés, distraits, automatisés, ils suivront notre exemple bien avant de suivre nos conseils.

Le pape Léon XIV a eu raison de lancer l’alerte, même s’il l’a fait en retenue. Reste la question : est-ce que quelqu’un va écouter ?

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